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épisode 2

Atrilon vola pendant des heures puis atterrit, épuisé, dans une forêt épaisse de fougères bleues et d’arbres millénaires hauts comme des gratte-ciels. La jungle des Sauriens. Il s’endormit sur un rocher recouvert d’une mousse spongieuse. Dès l’aube, une petite voix nasillarde le tira de son sommeil.
--- Bonjour, tu veux me bouffer?
Perplexe, Atrilon se redressa et inspecta les environs.
--- Où es-tu, je ne te vois pas.
--- Je suis là, par terre, derrière toi. Tu veux me bouffer?
--- Tu es dingue ou quoi ? Je ne bouffe pas les gens.
--- Mais je ne suis pas un gens. Je suis un légume. Toi, tu es un légume?
--- Mais non voyons. Je suis un Voldor.
--- Ah. Tu es très joli. Tu es doré comme un soleil. Mais tu as l’air triste. Pourquoi tu es triste ?

Atrilon examina la plante de plus près. La chose ressemblait à s’y méprendre à un petit homme atteint de boulimie, une sorte de mini bouddha végétal. Le corps se composait de trois bulbes charnus superposés de couleur avocat. Sur le bulbe supérieur qui tenait lieu de tête, la ligne de la bouche coupait les renflements sur plusieurs quartiers, de sorte que ses lèvres démesurées lui donnaient un sourire un peu débile. Des filaments désordonnés qui poussaient pêle-mêle sur le crane ne faisaient rien pour arranger son apparence. Par contre, ses yeux énormes aux teintes de jade le dotaient d’un air inoffensif.
--- Mon ami est mort à cause de moi, répondit finalement Atrilon, remis de son étonnement.
Cacatus
--- C’est quoi un ami ?
--- C’est… quelqu’un que tu aimes.
--- Et tu le bouffes ?
--- Mais non, voyons. Tu es obsédé ou quoi.
Le légume n’eut pas l’air offensé le moins du monde par la remarque d’Atrilon qui poursuivit son inspection visuelle de l’étrange créature. Tout autour de la plante, à la jonction des bulbes du tronc sortaient des branches courtes articulées comme des bras rabougris. Une boule rougeâtre de la taille d’une mangue poussait à l’extrémité de chacune de ces branches. Atrilon supposa qu’il s’agissait de la partie comestible de la plante. Un bien drôle de bonhomme, pensa-t-il. Le légume, qui inspectait lui aussi son visiteur, inclina sa tête d’une étonnante flexibilité et regarda Atrilon droit dans les yeux.
---Tu as un nom?
---Je m’appelle Atrilon.
--- Ah! Je suis enchanté de faire ta connaissance. Tu sais, on ne voit pas souvent de visiteurs par ici. Moi je n’ai pas de nom. Tu veux me donner un nom?
---Si tu veux. Tu ressembles un peu à une plante qui pousse dans le désert Secencris sans même avoir de feuilles. Je pourrais t’appeler Cacatus.
---Cacatus ! Oh lala, c’est rigolo. Je ne me suis pas marré comme ça depuis bien longtemps.
---Et moi, enchaîna Atrilon, c’est la première fois que je vois un légume qui rit.
--- Il me semble que tu étais plus gros tout à l’heure. Pourquoi tu diminues? Tiens, regarde Atrilon, il y a d’autres Voldors qui viennent par ici, s’exclama Cacatus de plus en plus excité de toute cette compagnie.

De fait, Argar et Nacros, les frères d’Atrilon atterrirent à proximité et entonnèrent en chœur :
---Nous t’avons cherché pendant des heures. Pourquoi tu n’es pas revenu? On s’inquiétait. On pensait que les draklas t’avaient capturé. On ne pouvait même pas te joindre par cerebrum.
--- Je…
--- Oh, que je suis heureux, coupa Cacatus, mais vous devriez faire attention de ne pas bouger. Il y a un énorme serpent par ici. Il bouffe tout ce qui bouge. Et vous, vous bougez tout le temps.
Argar, perplexe, se retourna et pointa en direction de la voix.
--- C’est qui celui-là?
--- C’est Cacatus. Un légume. Il est gentil, dit Atrilon.
Mais le petit groupe n’eut pas le temps de compléter les présentations, un tube interminable d’écailles luisantes surgit des buissons, un serpent colossal paré de couleurs éclatantes. Argar qui lui tournait le dos ne l’entendit pas s’approcher. Le reptile le jeta par terre et se mit à s’enrouler autour de lui pour l’immobiliser dans le dessein évident d’en faire son repas. Aussitôt Nacros et Atrilon se portèrent au secours de leur frère. Une lutte sans merci s’engagea.
--- Je vous l’avait dit … claironna Cacatus profitant de l’occasion pour se gonfler d’importance.
Entre-temps Nacros avait saisi la tête du reptile pour l’empêcher d’avaler Argar. Le monstre se débattait, agitant sa tête comme un fouet pour se défaire de Nacros mais les serres bien plantées dans la chair de la bête Nacros ne lâchait pas prise. À l’autre bout Atrilon s’affairait à coups de griffes sur le ventre du monstre.
--- Je vous l’avais dit.. répétait sans arrêt Cacatus, tout excité par l’action qui se déroulait autour de lui. Moi je lui ferais son affaire à ce gros lard…un direct au menton et vlan…mon pied dans les couilles.
--- Mais tu vas la boucler à la fin, Cacatus. Un vrai casse-pieds. À part ça, un serpent n’a pas de couilles à ce que je sache, lui fit remarquer Nacros.
---Et toi, tu n’as pas de pieds, renchérit Atrilon.
combat
La bataille dura peu de temps. Le reptile se savait perdu. Son sang giclait par de profondes blessures. Pour les bêtes, l’orgueil n’entre pas dans l’équation. Sans demander son reste, il libéra sa proie et disparut dans les broussailles. Le danger écarté, Atrilon et Nacros se ruèrent aussitôt pour assister Argar qui reprenait son souffle. Par bonheur, il n’avait rien de sérieux sinon une blessure à son amour-propre. Cacatus, lui, jubilait.
--- Nous avons enseigné une bonne leçon à ce poltron, lança-t-il d’une voix triomphale.
--- Oui, Général Cacatus, ricana Nacros, on aurait bien séché sans vos directives.
Les trois frères se mirent à rigoler mais Cacatus ignora les taquineries.
--- Vous voulez me bouffer ?
--- Tiens, le voilà qui recommence, fit Atrilon en branlant la tête.
--- Nous ne mangeons pas, nous, expliqua Nacros, nous sommes des agrégats. Chaque cellule de notre corps se nourrit de l’énergie ambiante.
Visiblement chagriné, Cacatus se tut soudain et baissa la tête. « Alors, j’aurai servi à rien,» dit-il d’une voix mortifiée, la mine basse, l’air piteux et misérable, à un point tel que les Voldors tentèrent de le réconforter.
--- On peut goûter à tes fruits quand même, si tu veux ?
--- Mes fruits ! Mais voyons, Nacros ! Je suis un légume. Un légume ne donne pas de fruits.
--- Aïe! Que je suis bête. Ce …légume a l’air appétissant.
--- Le meilleur en ville, plaisanta Cacatus de nouveau fringant et tout sourire. Servez-vous, gentilshommes. Au frais de la maison. Prière de glisser un pourboire, ajouta encore Cacatus qui ne contrôlait plus sa joie. ---Tu tiens un langage étonnant pour un légume, Cacatus, remarqua Nacros amusé de la bonne humeur de leur hôte. Comment as-tu appris dans cet endroit isolé ?
--- Wow ! Délicieux ce légume, s’exclama Argar. Je pense qu’on devrait en emporter quelques uns. Tu n’as pas d’objections, Cacatus ? Ça te ferait de la publicité.
--- No problemo, répondit Cacatus avec un accent exagéré. Mais pourquoi tu diminues encore Atrilon ? Tu n’es guère plus haut que moi maintenant. Tout à l’heure tu étais beaucoup plus grand.
Ses frères comprirent que la douleur d’Atrilon consumait son énergie.
--- Il ne faut pas que tu te laisses aller, Atrilon, supplia Argar. Reviens avec nous. On ne sait pas si Zirco est mort. Tranos l’a transporté dans le temple des Chogos. Il ne l’aurait pas apporter aux mages s’il n’y avait plus rien à faire.
--- Nous devons partir maintenant Cacatus, dit Nacros. Mais nous reviendrons te voir. Pas vrai, Atrilon ? Et nous emporterons Zirco avec nous pour lui faire goûter ce légume exquis. Tu en garderas la fraîcheur pour notre ami, n’est-ce pas Cacatus ?
--- De plus, ajouta Argar à l’intention d’Atrilon, j’ai entendu Tranos dire que tu avais défendu Zirco vaillamment, au risque de ta vie.
--- C’est moi qui ai entraîné Zirco, répliqua Atrilon d’un ton déprimé.
--- Tranos le savait que vous alliez jouer aux chutes. Il ne s’y est pas opposé parce qu’il pouvait percevoir le bonheur de Zirco.
--- Je suis tellement malheureux, pleura Atrilon.
--- Tu as perdu trop de force. Nous allons te porter. Fais-nous confiance.
Et Nacros et Argar s’envolèrent en emportant Atrilon.
--- Au revoir Cacatus, nous reviendrons.
--- Au revoir, fit Cacatus, attristé de voir ses nouveaux amis le quitter si tôt.


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