kra1

Avant-propos

Kronos mutila son père Ouranos en le castrant et jeta ses organes génitaux dans la mer. À son tour, Kronos eut peur de subir le même sort de la part de ses enfants et les dévorait dès leur naissance. Affligée par le sort de sa progéniture, son épouse Rhéa substitua une pierre tendre sculptée à la forme d'un nourrison au lieu du corps de son dernier né Zeus. Elle le cacha sur Kra, une planète invisible.
Devenu adulte Zeus regagna le mont Olympe, renversa son père et prit le pouvoir. Mais les conflits se succédant à un rythme effréné au pays des dieux, Zeus dût encore combattre les Géants qu’il vainquit grâce à Héraclès. La mère des Géants, Gaïa, trouva deux de ses petits-fils, Tranos et Baryon, cachés dans une grotte avec deux rejetons des Cyclopes. Elle les transporta tous sur Kra pour les protéger de la vindicte de Zeus qui voulait exterminer toute la lignée des Géants.

Trente mille ans se sont écoulés. Tranos et Baryon se sont liés avec des habitants de la planète et règnent sur un continent appelé Trania. Les Lupranos sont les descendants de Tranos. Mi-loups, mi gorilles, ils ne sont pas immortels comme leur géniteur mais dotés d’une impressionnante force physique. Baryon est polymorphe et a copié l’apparence d’autres espèces pour satisfaire ses besoins en matière de génitalité. Ses descendants sont dispersés à travers Kra et mal identifiés en raison du sentiment paternel déficient chez Baryon. Seuls les Voldors, trois frères ailés, ont retenu son affection.

On trouve aussi des humains sur Kra. Anticipant le déclin de la planète Terre, les puissants achetèrent leur passage sur des stations spatiales secrètes, des régions colonisées sur la lune ou sur mars, délaissant la terre à la désolation. D’autres vaisseaux furent lancés à la conquête de planètes habitables de plus en plus éloignées. Un de ces vaisseaux croisa un ver de néant et se retrouva à la dérive dans l'espace voisin de Kra. Il fut secouru par les scientifiques de Kra, les Astruïdes.

Sur Kra la vie dans son ensemble se rapproche de ce que l’on connaît sur terre. Il ne s’agit pas d’une coïncidence mais un effet de la loi des contraintes. Des expériences ont démontré que tous les organismes vivants dans l’univers, soumis à des contraintes similaires, se ressemblent. Le milieu aérien illustre le mieux la pertinence de cette règle. Une contrainte sévère s’applique au domaine aérien: le vol. Il en résulte que tous les oiseaux présentent des caractéristiques communes: ailes, plumes, forme aérodynamique, pattes, becs … Des observations chez les oiseaux de plusieurs planètes où la vie s’est implantée ont confirmé cette théorie.

1er épisode

Un énorme soleil rouge dispersait ses rayons au-dessus des forêts variées de Kra dont seuls les rivières et les nombreux lacs brisaient la continuité du manteau de verdure. Du haut des airs, les crêtes chauves des montagnes avaient l’air de mamelons éparpillés sur le corps nourricier de la nature.

Les ailes déployées, Atrilon glissait au-dessus de la cime des arbres, son regard perçant épiant les mouvements 200 mètres plus bas dans la vallée des Centaures. Il ne voyait pas Zirco son ami, un des fils de Tranos, le maître des loups. Le jour d’avant, ils s’étaient baignés dans les eaux chaudes de la chute des Vapeurs. L’eau des chutes dévalait une série de cascades en escalier dans un jeu de tourbillons, d’écume et de vapeurs dont raffolaient les gamins. Du sommet de la chute ils se jetaient dans le courant à bord d’une embarcation de fortune, rebondissant d’un palier à l’autre comme un bouchon de liège dans une aventure aussi palpitante que périlleuse. Leur glissade se terminait dans les eaux calmes du lac Émeraude où les attendait un groupe de papillons aquatiques, avides de s’amuser avec eux. Les deux compagnons étaient toujours ensemble. Ils se fréquentaient depuis plus de 300 ans.

Atrilon appartenait à l’espèce des Voldors, unique à Kra. Il était issu des amours de Baryon, un aigle colossal au regard hypnotique et d’une créature télé portée par erreur sur Kra. L’étranger avait la forme d’un humain avec la peau givrée d’or. Il disait appartenir à une exo planète de la constellation de Pégase. La rumeur voulait que Baryon l’ait ensorcelé. Quoiqu’il en fut, de leur union naquirent Atrilon et ses deux frères, Argar et Nacros, il y a 843 ans. Les rejetons à forme humaine avaient des ailes en lieu de bras et la peau de la couleur de l’or. Un jour, l’étranger se volatilisa aussi mystérieusement qu’il était arrivé. On supposa que ses congénères avaient repéré ses coordonnées et l’avaient rapatrié sur sa planète. On ne le revit jamais.

Quant à Zirco, il n’avait pas d’ailes comme Atrilon. Il était un Lupranos, un hybride né d’une idylle passagère entre Tranos et Zora, une gorille au pelage beige, dense et ras. Tranos chérissait Zirco comme un trésor. Tous les habitants adoraient Zirco, le dernier né des géants de Kra.

Atrilon l’aperçut enfin dans la vallée sur le dos de Dorion, un des centaures engagés dans un jeu d’adresse qui consistait à manœuvrer un ballon et à marquer des buts contre l’équipe adverse.
--- Tu viens t’amuser aux chutes avec moi?
Zirco acquiesça en se dressant debout sur le dos de Dorion qui courait au galop. Il voulait répéter l’exploit de sauter sur le dos d’Atrilon sans ralentir l’allure de la course. Il avait réussi cet exercice avant mais cette fois-ci Zirco rata son coup. Il fut récupéré in extremis par Atrilon qui l’agrippa de ses serres et se propulsa avec lui comme une fusée au-dessus du sol. Zirco riait aux éclats. Il s’agrippa au dos d’Atrilon et ils partirent pour les chutes.

Les deux camarades s’amusaient sans retenue, dépensant le trop plein de leur énergie juvénile quand un éclair aveuglant déchira la toile du ciel et s’abattit dans un fracas d’enfer sur le flanc de la montagne à proximité des chutes. Un nuage épais de fumée et de débris s’éleva à l’emplacement où la foudre avait frappé. L’onde de choc se répercuta pour des kilomètres alentours. Sous le regard ébahi des deux amis, l’énorme nuage de poussière se dissipa peu à peu, révélant les contours d’une forteresse dont les remparts de pierres s’incrustaient dans la roche de la montagne. Zirco eut peur. Il se colla sur Atrilon. Mais bientôt remis de leur stupeur, la curiosité s’empara des deux amis.
--- Tu veux aller voir, Atrilon ?
--- Je ne sais pas Zirco. On devrait retourner et avertir les autres. Je n’ai jamais vu une chose pareille. On dirait que toute la montagne s’est transformée d’un coup. C’est comme de la magie.
--- On pourrait juste s’approcher un peu pour voir.
--- Bon d’accord. Mais juste un coup d’œil et puis on s’en va. Le soleil se couche déjà. Il fera nuit bientôt.

Zirco s’agrippa au dos d’Atrilon et ils s’envolèrent en direction de la forteresse. Un fossé marécageux d’où s’élevait des vapeurs sulfureuses longeait l’extérieur de la muraille. Des tours de guet s’élevaient à différents intervalles, reliées entre elles par un chemin de ronde pratiqué sur la partie supérieure de la muraille. Du haut des airs, ils virent un château somptueux garni de tourelles et de dômes, entouré de jardins et de statues colossales disposées comme des sentinelles surveillant le domaine.
--- Regarde Atrilon, il y a une porte dans le mur.
Le pont-levis était abaissé, la herse levée, comme si le déplacement cosmique s’était produit à un moment d’activité des habitants de la citadelle.
---Oh regarde, Atrilon, le petit animal. Il a l’air blessé. Allons le voir, tu veux? Après on s’en va.

Ils atterrirent sur une pointe escarpée aux abords du pont qui traversait la douve marécageuse et menait au pont-levis. Zirco courut aussitôt vers la petite bête qui s’écrasa par terre en signe de soumission.
--- Oh, comme il est beau!
--- Sois prudent Zirco, il pourrait te mordre. Il a des dents comme un petit loup.
--- Non, regarde, Atrilon, il lèche ma main. On l’emporte avec nous, tu veux ? S’il te plaît Atrilon.
Zirco souleva le chiot dans ses bras en riant pendant qu’Atrilon, un peu à l’écart, scrutait nerveusement les environs pour détecter des signes de danger. Lorsqu’il se retourna, il vit une créature hideuse qui s’approchait par l’arrière de Zirco. Atrilon comprit qu’il s’agissait d’un drakla, ces êtres morts-vivants évoqués dans les légendes de Kra. Le monstre était si près qu’il eut été vain de tenter de s’enfuir par la voie des airs. Il ne parviendrait jamais à soulever Zirco avant que la créature ne l’atteigne. À court d’options, Atrilon prit la décision de foncer sur le drakla. Évitant Zirco de justesse, il parvint à saisir le vampire de ses serres et à le terrasser.
--- Coure Zirco, coure aussi vite que tu peux. Ne t’arrête pas. Retourne à la Cité.

Atrilon possédait des moyens de défense très efficaces. Ses pieds divisés en trois orteils munis de longues griffes et d’un ergot qui sortait de son talon reproduisaient les serres des aigles. De plus, l’extrémité de ses ailes camouflait des ongles rétractiles tranchants comme des rasoirs. Le drakla se releva, l’écume dégoulinant de sa bouche, les yeux rouges vitreux rivés sur Zirco qui s’enfuyait par la forêt. Ignorant Atrilon, il partit à la poursuite de Zirco mais Atrilon le rattrapa avant qu’il n’atteigne l’orée des bois et enfonça ses serres profondément dans le dos du monstre, les ongles de ses ailes tailladant la chair autour du cou, creusant des blessures profondes qui eussent été mortelles pour un animal deux fois la taille du drakla. Pourtant la créature se retourna en hurlant et en se débattant, balayant l’air de ses bras avec une telle vélocité qu’Atrilon prit un coup sévère dans le flanc et fut propulsé contre un arbre. La force de l’impact détacha le givre doré sur sa peau qui se dispersa dans l’air comme une fine poudre. Atrilon devint invisible aux endroits où le givre s’était dissipé. Il se releva prestement, abasourdi mais déterminé à combattre le monstre jusqu’à la mort. Cependant le drakla se détourna de lui et pénétra dans la forêt à la poursuite de Zirco.

Atrilon ne pouvait pas courir sur le sol. La morphologie de ses membres inférieurs l’empêchait de se déplacer avec aisance sur la terre ferme. À défaut de poursuivre le monstre dans la forêt trop dense pour agiter ses ailes, il s’éleva dans les airs et fonça à tombeau ouvert vers la Cité des Géants. Il fallait avertir Tranos à tout prix. La pénombre s’épaississait, il ne restait plus de soleil à l’horizon. Soudain Atrilon se ravisa. Le monstre aurait le temps de tuer Zirco avant qu’il puisse rejoindre les secours. En désespoir de cause, il activa cerebrum, la puce informatique tatouée sur sa poitrine et supplia ses frères de contacter Tranos au plus vite. Ensuite, il emplit ses poumons à pleine capacité et produisit une série de cris stridents que l’on put entendre à des dizaines de kilomètres, un signal SOS reconnu dans tout le pays.

Tranos entendit les cris et comprit qu’un drame se déroulait. Il activa cerebrum pour atteindre l'esprit de Zirco, son fils adoré. Le lien télépathique qui les unissait lui simula la vision de Zirco qui courait, apeuré, en pleurs. Tranos proféra un tel cri de rage et de douleur que des arbres à proximité furent terrassés par les ondes sonores et il détala comme un missile en direction des chutes. La meute de loups qui l’avait accompagné à la chasse le suivirent en renfort.

Atrilon regrettait d’avoir entraîné Zirco. S’il fallait qu’il meure par sa faute! Puis il entendit le hurlement et reprit espoir. Tranos avait capté son message. Atrilon fit volte face et retourna survoler les sentiers qui quadrillaient la région. Il plana juste au-dessus de la cime des arbres épiant le moindre mouvement. Tout à coup il vit Zirco courir au milieu d’un sentier, mais aussi le vampire tout près.
--- Attention Zirco ! Coure Zirco, le monstre est derrière toi.

Mais il était trop tard, le vampire fondit sur lui, l’empoigna de ses bras puissants et enfonça ses canines saillantes dans son cou. Atrilon plongea aussitôt et de toute sa force ravagea le dos du drakla de ses serres, déchirant les muscles et les os. Le monstre lâcha sa proie. Il se retourna, chancelant, hurlant de douleur, désorienté par l’invisibilité partielle d’Atrilon qui frappa encore, sectionnant net une main du monstre d’un seul coup de griffe. Mais le drakla ne tombait pas, ne faiblissait pas…malgré les coups sévères portés par Atrilon. Il continuait à se débattre, surprenant Atrilon d’un coup violent au thorax qui le propulsa à plusieurs mètres en arrière. À ce moment précis, Tranos surgit de la forêt dans un vrombissement de tonnerre. D’un seul coup de griffe, la tête du monstre vola dans les airs. Fou de rage, il saisit le torse mutilé du drakla, le souleva et le déchira comme un vulgaire chiffon. Le cœur du vampire battait encore dans l’amas de viscères sanguinolentes. Tranos l’arracha, le broya et le jeta à la meute de loups. Puis il se concentra pour sonder les alentours mais ne perçut pas d’autres présences hostiles. Il s’approcha alors de Zirco étendu sur le sol et le souleva délicatement dans ses bras. Il entendit un battement d’aile s’éloigner et le bruit de sanglots. Tranos savait qu’Atrilon pleurait lui aussi, des larmes invisibles de chagrin et de regrets. Il se sentait responsable de la mort de Zirco.

Toute la nuit on entendit les loups hurler sans arrêt dans une interminable complainte.


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